A. Landerer: Freimaurerei und die Schweiz

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Titel
Freimaurerei und die Schweiz. Wesensmerkmale, Geschichte und Einfluss auf die Entstehung des modernen Bundesstaates 1848


Autor(en)
Landerer, Armin
Erschienen
Leipzig 2021: Salier Verlag
Anzahl Seiten
380 S.
von
Olivier Meuwly

Les ouvrages interrogeant les liens entre la franc-maçonnerie et la construction politique de la Suisse moderne sont rares. Or, ces liens sont étroits tant les personnages ayant participé de près ou de loin à la construction de la Suisse de 1848, et ayant été en contact, sinon avec une loge, du moins avec les idéaux véhiculés par cette organisation, sont nombreux. Il est en effet impossible de dissocier le courant républicain qui s’affirme au XIX e siècle, dont le radicalisme suisse constitue l’une des branches, de la philosophie portée par les francs-maçons. Ses linéaments s’observent dès les Lumières avant de s’épanouir durant les révolutions française et américaine. Prolixe dès qu’il s’agit d’ausculter les conflits internes et autres luttes de tendances dont la franc-maçonnerie se repaît, la littérature maçonnique peine à se projeter dans le cadre politique sinon pour chanter les mérites de ses « héros » dans l’élaboration des principes démocratiques qui nous gouvernent.

Il convient donc de saluer l’ouvrage d’Armin Landerer qui, bien qu’écrit en allemand, mérite d’être chroniqué dans un volume de la RHV consacré à l’histoire de la franc-maçonnerie. Il tente de pointer les influences de cette dernière sur la Suisse moderne dont nous fêterons l’année prochaine le 175 e anniversaire de la première Constitution (1848). Landerer prend toutefois soin d’insérer les thèses maçonniques en matière politique dans leur développement philosophique dès la création de la maçonnerie dite spéculative au début du XVIII e siècle. Ce retour en arrière lui permet de remonter les chemins par lesquels la maçonnerie, tout en adhérant au rationalisme des Lumières, est parvenue, par les actes symboliques qui rythment ses rituels, à élargir l’avènement de la Raison par une intégration de celle-ci dans un « réseau global » où l’individu se relie au Tout dans lequel il est inséré.

Sur cette base théorique, l’auteur peut narrer les grands événements historiques dans lesquels la franc-maçonnerie a été impliquée, par l’intermédiaire de « frères » engagés en première ligne des grandes révolutions qui porteront indiscutablement les stigmates des idéaux débattus dans les loges. Il met bien en évidence le rôle de laboratoire qu’a joué cette organisation dans l’élaboration des principes que l’on retrouvera au frontispice de ces grands textes constitutionnels dont accoucheront les deux révolutions de la fin du XVIII e siècle, foyers de notre modernité. On peut même déduire de son récit que, plus que des officines intellectuelles, les loges, notamment dans les futurs États-Unis d’Amérique, ont quasiment fonctionné comme les états-majors de la révolution. On aurait toutefois apprécié qu’il s’intéresse à cette contradiction profonde de la maçonnerie qui, vigoureusement vissée sur l’égalité entre individus, tolérait l’esclavage… L’action maçonnique au service de la liberté des peuples ne s’arrêtera pas à la partie septentrionale du continent américain : elle sera très présente, avec Miranda, Bolivar et tant d’autres, à la tête des mouvements d’émancipation nationale de l’Amérique du Sud.

Quittant les lointains rivages philosophiques et géographiques, Landerer aborde alors la franc-maçonnerie helvétique, dans ce qui constitue la partie la plus passionnante de son ouvrage, mais aussi la plus problématique… Il montre bien comment le discours maçonnique a infiltré le discours révolutionnaire, en Suisse, puis l’action radicale. En effet, nombreux sont les maçons à s’asseoir, directement ou indirectement, au chevet des nouvelles institutions du pays. Il en vient dès lors à articuler son propos autour des grandes figures de la maçonnerie à l’œuvre au cœur de la nouvelle Confédération en train de naître. C’est aussi le point faible de sa démonstration. Il accorde une place, justifiée, au catholique Troxler, « inventeur » du système bicaméral qui régit la Suisse, en le présentant comme affilié à la maçonnerie. L’est-il vraiment ? Ses biographes sont muets sur la question et, même si la philosophie du médecin lucernois est parfaitement compatible avec la pensée maçonnique, la question doit être posée, alors qu’aucune source n’est citée. Il en va de même avec ces premiers conseillers fédéraux, qualifiés abruptement de « sans tablier » (Druey, Franscini, Fey-Hérosé).

En réalité, seul le Zurichois Furrer fut actif dans une loge. À ce taux-là, qui pourrait, dans le contexte radical de l’époque, « échapper » à une appartenance maçonnique ?

Même problème lorsque l’auteur énumère les grands principes de la Constitution de 1848, qu’il ancre dans l’idéal maçonnique : bicaméralisme, démocratie directe, fédéralisme, séparation des pouvoirs, tradition humanitaire, concordance, droits de l’homme, neutralité. Rien que ça ! Il nous semble commettre une erreur de perspective. Il reconnaît certes dans son chapitre sur les Lumières qu’il serait trop aisé de tout attribuer à la franc-maçonnerie, mais, pour le cas helvétique, il tombe dans le piège qu’il voulait sagement éviter. S’il est évident que ces valeurs forment les soubassements de l’esprit maçonnique, elles se sont sédimentées à travers de nombreuses influences philosophiques et religieuses (un terme que la recherche historique emploie avec précaution) et à travers le travail de nombreux acteurs, immergés dans une série de réseaux politiques, intellectuels ou sociaux.

La franc-maçonnerie ne constitue pas un tout homogène et il peut être parfois hardi d’établir des relations de cause à effet un peu trop automatiques en signifiant que tel personnage reprend le corpus maçonnique par son affiliation à la maçonnerie, sans creuser plus avant sa biographie. Et n’oublions pas que l’impact de la franc-maçonnerie sera des plus variables selon les cantons ! Mais l’ouvrage de Landerer a le mérite précieux d’apporter un éclairage inédit sur la place de la franc-maçonnerie, indiscutable, dans la construction des institutions helvétiques. Notons enfin son très enrichissant dernier chapitre sur l’anti-maçonnisme, qu’il provienne de l’Église catholique, qui ne supportera jamais la concurrence maçonnique, ou des régimes totalitaires, avec une belle et honnête mise au point sur le rôle ambigu que cette organisation a tenu sous le IIIe Reich.

Zitierweise:
Meuwly, Olivier: Rezension zu: Landerer, Armin: Freimaurerei und die Schweiz. Wesensmerkmale, Geschichte und Einfluss auf die Entstehung des modernen Bundesstaates 1848, Leipzig 2021. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 130, 2022, p. 225-226.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 130, 2022, p. 225-226.

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